Mis à disposition gratuitement sur Arte pendant la semaine du cinéma, le film d’Alice Rohrwacher sorti en 2018 continue de nous émerveiller par sa photographie soignée et un scénario inventif.
Si vous n’avez pas vu ce film lors de sa sortie en 2018, il est encore temps de vous rattraper ! Reconnu par la critique à sa sortie, ce film italien a obtenu le prix du meilleur scénario au festival de Cannes 2018. En effet, l’histoire se démarque par une construction à la fois très réaliste mais dans laquelle la réalisatrice a su insuffler un brin de fantastique.
La première partie du film nous présente un monde qui semble hors du temps : des paysans travaillent aux champs de tabac pour le compte d’une riche dirigeante d’entreprise. Cependant on se rend rapidement compte qu’il ne s’agit pas de travail, mais bel et bien d’exploitation. En effet, la patronne se fait appeler marquise et traite la population de l’Inviolata comme des serfs. Réduis à l’esclavage, ils vivent dans l’ignorance du monde extérieur, étant enclavés dans leurs terres avec l’interdiction d’en sortir.
Cette première partie nous place dans un décor presque lunaire entre champs et falaises, serfs et princes, mythe et réalité. Les personnages sont en effet aussi très marqués, un peu exagérés, avec leur apparence de personnages de conte de fée. Le plus parlant est bien-sûr Lazzaro, qui est au centre de tout le film. Totalement naïf, il est celui qui est toujours heureux dans les circonstances les plus défavorables ; il est aussi le plus gentil, utilisé par ses paires. Même parmi les exploités il se trouve un être plus exploité que les autres. Ce personnage est profondément bon, pense constamment aux autres et semble dépourvu de malveillance : il est une figure sainte. Il est aussi le vecteur du fantastique et de l’imaginaire, puisque tourne autour de lui une légende faisant référence à un loup, image animale qui le suivra.
Sans le vouloir, c’est aussi lui qui sera à l’origine de la chute de l’asservissement des paysans de l’Inviolata. C’est une nouvelle vie qui démarre pour des gens qui ont toujours vécus dans une communauté enclavée. Cependant la metteuse en scène nous fait rapidement déchanter et encre un peu plus son film dans la critique sociale, dans un monde bien réaliste cette fois. Lazzaro, comme tombé dans un coma au moment de l’ouverture au monde de la communauté, se réveille tel la Belle au bois dormant vingt-ans plus tard. Il retrouve ses anciens camarades à la ville, où ils ne se sont pas plus épanouis : l’exode les a faits esclaves d’une société moderne dirigée non plus par une marquise mais par des banques et entreprises. Lazzaro est d’autant plus malmené dans ce monde où la violence domine ; un monde qu’il ne comprend pas et avec lequel il est en décalage absolu. Il reste cependant fidèle à lui-même, celui qui ramène l’espoir, celui (pourquoi pas) d’une nouvelle communauté à l’Inviolata.
Le film d’Alice Rohrwacher est donc une fable moderne dont l’image en Super 16 nous invite à un regard vers une forme rêvée du conte, de quelque chose d’un peu fantastique. Cet onirisme est toujours apporté par Lazzaro, comme s’il était la clef entre notre monde ordinaire et une part plus enchantée. Il fait naître de l’intérieur une volonté de prendre son destin en main, de repenser les formes de bonheur. C’est donc finalement un film dont la beauté esthétique et la douceur du personnage principal ne font que mettre en avant la dureté d’un monde qui n’est pas fait pour les saints. L’image est assez claire : entre esclavage assumé et subordination à la finance la différence est infime, et seul un regard naïf et imaginatif peut nous en faire sortir. La créativité vaincra.
Photographies : Tempesta 2018