Le film de Jérémy Clapin joue sur la dimension poétique du souvenir pour créer une œuvre pleine de sensibilité.
Sur la base du scénario assez commun d’un jeune homme, Naoufel, qui tombe amoureux d’une jeune femme, Gabrielle. Le réalisateur construit son film sur deux déroulés d’histoires parallèles. Celle de Naoufel est entrecoupée par le périple étrange d’une main coupée, séparée de son corps, traversant la ville à la recherche de son être disparu. Comme attirée, aimantée, elle court les rues et ses dangers pour retrouver ce à quoi elle a toujours été liée.
Les histoires s’entremêlent, tout comme les temporalités : on découvre en effet des bribes d’histoire de la vie de Naoufel à travers des flashbacks récurrents vers des époques plus ou moins lointaines. Déjà ici, la dimension visuelle du film au graphisme soigné entre en jeu. Les couleurs deviennent marqueur de temporalité, le noir et blanc de l’enfance est remplacé par la couleur du présent. La musique entre elle aussi en ligne de compte, rappelant que le cinéma n’est pas qu’un art visuel, mais aussi auditif. Les mêmes notes réapparaissent de façon cyclique, annonçant le retour au souvenir, à l’image du passé. Le personnage de Naoufel lui-même a recours à l’ouïe pour remonter le temps, puisqu’il a enregistré dans son enfance des bribes de sa vie, des moments les plus banals aux évènements les plus marquants voir tragiques. L’ouïe vient alors supporter la réminiscence et le retour à l’image.
La main, quant à elle, est isolée du reste de son corps ; et l’image fantastique d’un membre courant dans les ruelles et les rames de métro intègre au film sa dimension poétique. Elle est guidée par des figures récurrentes associées au rêve et aux espoirs d’enfant de son propriétaire. L’astronaute, le pianiste, la mouche : trois éléments filigranes de l’histoire qui se développent et qui sont la boussole, le soutien lorsque la situation semble perdue. Mais la main c’est aussi le membre du toucher, ce sens qui paraît échapper au cinéma mais qui est pourtant au centre du film. C’est par ces sensations que revient la mémoire, le toucher comme madeleine de Proust. Ce morceau de corps est devenu dépositaire d’une mémoire sensitive dont le corps auquel elle se rattache est privé.
La définition du cinéma comme sensible évoque alors étymologiquement l’idée d’un art des sens : de la vue, de l’ouïe, mais aussi du toucher. Le cinéma selon Jérémie Caplan est donc capable de mettre en scène des sensations échappant à son contrôle.
Louison Chartrain