Concert d’Ólafur Arnalds au Théâtre Femina le 22 octobre 2018
Terre de contrastes, l’Islande est glaciale et rude, mais elle représente aussi la sérénité des grands espaces et des paysages époustouflants. Les couleurs se déclinent à l’infini en tâches explosives sur les parois des falaises rocheuses ou dans l’étendue des plaines. Selon les légendes locales, elle serait peuplée de créatures très diverses telles que les elfes huldufólk, les trolls de Vík et les skrimsli, sorte de monstres marins, ce qui lui donne un côté féerique et mystérieux.
Dans son dernier album Re:Member, Ólafur Arnalds, producteur, réalisateur artistique et multi-instrumentiste originaire de Mosfellsbær, a réussi à incarner l’essence complexe de son pays et à nous la transmettre en direct, avec toute sa délicatesse et sa mélancolie, notamment grâce à une mise en scène étonnante.
Deux pianos droits sont disposés de part et d’autre de la scène. Un piano à queue trône en son centre, à côté d’un clavier. Ce décor surprenant est complété par trois violons, un violoncelle et une batterie avec pad. Le premier signe enchanteur se produit quelques minutes avant l’arrivée des musiciens : les touches des pianos droits s’enfoncent toutes seules, comme si un être invisible jouait devant nous, ou se jouait de nous. Ólafur Arnalds a passé des mois à connecter ces pianos ensemble et à les coder pour pouvoir jouer sur les quatre en même temps en n’en touchant qu’un ou deux. Cette prouesse musicale produit non seulement un son extraordinaire, d’une douceur rassurante, mais aussi un rendu visuel magnétisant, quasiment magique.
Les jeux de lumière, sobres mais très travaillés, transcrivent à la perfection l’intime tendresse des pianos, les vibrations pleureuses des cordes, et les distorsions électroniques des sons, leurs réverbérations organiques. L’ensemble donne un air surnaturel à la performance, surtout lorsque, tour à tour, un violoniste et un violoncelliste s’avancent sur le devant de la scène pour projeter leurs ombres au mur, géantes nordiques, pour un solo confidentiel.
Tout l’univers d’Ólafur se reflète dans la scénographie, ce qui nous laisse profondément apaisés et mélancoliques à la fin de la représentation. On est transportés jusqu’au bord des rivières et des volcans islandais par le mélange de pureté innocente et de complexité qui vient de nous être proposé.
Pour un voyage bercé dans les confins septentrionaux à moindre coût, je recommande cette prestation enivrante, digne de Max Richter.
Crédits photo : Amir Sadeghian pour ISNA photo