“Si vous êtes un homme blanc, vous pouvez être un prince arabe; et si vous êtes un homme noir, vous pouvez jouer un singe, ou un zèbre”.

Voici ce que Chris Rock déplorait, non sans humour, lors de la 84e cérémonie des Oscars en 2012, à propos de la postsynchronisation -ou création de voix- dans le secteur de l’animation. Nous sommes aujourd’hui bien loin de la liste des Onze Censurés, mais tandis que les grands studios d’animation mettent en scène des personnages toujours plus variés depuis ces dernières années dans leurs récits, certaines branches de l’industrie audiovisuelle font preuve d’un manque de diversité peu visible, ou peu décrié.

Le 29 décembre 2009, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) dénonçait suite à une plainte de Yasmine Modestine, actrice française, les préjugés racistes qui empêchent des comédiens noirs de doubler des personnages blancs. Elle déclarait ainsi « La HALDE rappelle que le choix d’un comédien-doubleur doit se faire en fonction de la qualité de sa voix et de sa compétence, et non en raison de sa couleur de peau ou de son origine. La HALDE a été saisie par une comédienne métisse estimant avoir été écartée d’une session de doublage en raison de son origine. L’enquête de la HALDE a révélé l’existence de préjugés selon lesquels «les comédiens-doubleurs noirs ne pourraient doubler que des comédiens noirs, contrairement aux comédiens-doubleurs blancs qui auraient une voix universelle». » Ainsi, la voix « trop spécifique » des doubleurs noirs est régulièrement jugée comme inadaptée pour un personnage blanc. Yasmine Modestine déclarait ainsi « Il faut savoir que dans le doublage, les comédiens noirs ont des voix graves de Noirs et des comédiens asiatiques ont une voix aiguë d’Asiatiques. […] Cette croyance est telle qu’il n’est pas rare d’entendre une comédienne blanche affirmer qu’elle a ‘une voix de Noire’ sans penser être raciste ».

Une majorité des rôles principaux joués ainsi par des comédiens noirs américains sont repris par des comédiens blancs, poussant l’absurdité de la chose jusqu’à préférer la voix d’un comédienne blanche “plus noire”, soit plus conforme à des préjugés. Qu’en est-il du monde de l’animation ?

Ce que déclarait Chris Rock aux Oscars en 2012 est symptomatique du traitement des comédiens non-blancs. Les personnages de film d’animation, doublés par des hommes noirs, sont souvent réduits à des traits de caractère précis, acolyte du héros, présent de manière moindre, souvent tourné en dérision et avec un caractère impertinent, à la manière de Chris Rock dans Madagascar (interprétant le zèbre Marty) ou Eddie Murphy dans Shrek (l’âne) ou Mulan (Mushu).  Ce genre de mise en scène perpétue ainsi l’archétype du minstrel show, spectacles américains du 19e siècle se moquant des personnes noires.

Raphael Bob-Waksberg, le showrunner de la série animée à succès BoJack Horseman, a reconnu dans une interview pour Uproxx sa posture privilégiée, ainsi que le fait qu’il se soit longtemps mis des œillères face aux discriminations, et n’ait malheureusement rien fait pour lutter contre cela quand il en avait les moyens. Ainsi, mal à l’aise avec son propre silence, il a reconnu le problème avec Diane, personnage d’origine vietnamienne, incarnée par Alison Brie, et a tenu publiquement des excuses à ce sujet : ”Si je devais le refaire aujourd’hui, je ne me serais pas entièrement entouré de personnes blanches. Ignorer l’idée d’un casting ouvert à la diversité était surtout une excuse pour ne pas y prêter attention. Peut-être parce que je suis lâche. Jusqu’à la semaine dernière, je me disais : ‘Eh bien, si ça ne vient pas sur le tapis, on n’en parle pas’ […] Pendant longtemps j’ai cru que ce n’était peut-être pas à moi de lancer la conversation. […] J’étais excité et je ne comprenais pas que j’avais du pouvoir. Je n’ai pas eu le courage de dire : ‘Non, il faut que ce soit une femme asiatique. C’est donc de ma responsabilité d’en parler même si ça devient embarrassant pour moi”.

Hari Kondabolu, à l’origine du documentaire The Problem with Apu sorti en novembre 2017, met en lumière les stéréotypes qu’incarne Apu Nahasapeemapetilon dans la série animée Les Simpson et comment cela l’a fait se sentir vulnérable durant son enfance. Le film dénonce ainsi l’instrumentalisation du personnage, rendant légitime la discrimination sud-asiatique, tout en soulignant le fait que Apu soit incarné par Hank Azaria depuis une trentaine d’années et que cela pose problème; il le décrivait notamment comme un “homme blanc faisant une impression d’un homme blanc se moquant de mon père ». Whoopi Golderg a d’ailleurs reconnu que Apu est une forme de « brownface minstrelsy« . Peu après la polémique, Hank Azaria a déclaré qu’il était prêt à céder sa place -ce qui n’est à ce jour pas encore arrivé. Après une réponse jugée décevante et insuffisante dans un épisode des Simpson paru le 08 avril 2018, Matt Groening a déclaré dans une interview pour USA Today « Je pense que c’est une époque dans notre culture où les gens adorent prétendre qu’ils sont offensés« …

Ces cas sont loin d’être isolés, et cela montre que le classique “It’s a joke, stop taking it so seriously” n’est plus acceptable. Plus que cela, c’est un mode de pensée qui est problématique. Ne pas y voir de problème revient à nier le phénomène de white-washing, pratique consistant à faire jouer des personnages de couleur par des comédiens blancs. Par extension, des acteurs asiatiques par exemple n’ont pas la place pour jouer des personnages blancs: au-delà d’un manque de visibilité, il s’agit de ne laisser finalement que très peu de chances à tout le monde. La diversité ne doit pas se jouer uniquement devant la caméra.

Dans Kubo et l’Armure magique, film d’animation américain réalisé en 2016 par Travis Knight se déroulant dans un village japonais, seulement deux acteurs japonais sont au casting original, casting étant essentiellement blanc. Le film a provoqué ainsi un tollé à sa sortie, les critiques évoquant le white-washing hollywoodien (polémique également suscitée en 2011 avec le casting blanc de Avatar, le dernier maître de l’air, œuvre pourtant hautement inspirée de la culture asiatique).

Linda Lamontagne, directrice de casting d’origine asiatique de shows tels que BoJack Horseman, American Dad ou encore Family Guy, explique qu’elle fait des efforts considérables pour avoir des castings diversfiés et utilise des méthodes de sélection à l’aveugle ou de discrimination positive, mais que le problème le plus fréquent réside dans le fait que plus l’on travaille ou plus on est connu, plus on a de reconnaissance et par extension, d’embauche; additionné au peu d’agences représentant des personnes asio-américaines, le changement est difficile.

Il est possible, finalement, de s’interroger sur le réel intérêt de l’interprétation par une voix “adaptée”. Pouvons-nous parler de black ou brownface, de représentation derrière un personnage de dessin animé quand la majorité du public ne prête pas attention aux comédiens et comédiennes derrière ? Certaines voix, de par leur caractère, s’adaptent bien au personnage, au-delà de toute origine. La logique est bien entendu de choisir la personne la mieux adaptée au personnage, et c’est l’argument généralement utilisé pour justifier le choix d’une personne blanche. Ce qui est à déplorer est la pseudo-recherche de la “meilleure” voix qui ne se fait que de manière poussée pour une certaine partie de la population; une inégalité des chances évidentes est intégrée, et donne moins d’espace aux personnes non-blanches pour gagner en représentativité, avoir les mêmes  opportunités et critères de sélection, et ainsi abolir les stéréotypes ethniques. Reste à ce que des personnages comme Penny, dans Inspecteur Gadget, doublée par Cree Summer, ne soient plus des exceptions.

Manon Pliszczak

Crédit photo : http://variety.com

Publié le 23 mai 2018

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