Oubliez tout espoir de définition et de catégorie en passant les portes de la chapelle du Couvent des Capucins pour assister au Chant des filaments de Nicolas Villenave. Le seuil, la frontière, c’est là où se place cette œuvre, dans un espace où les catégories s’effacent, où les différences se rencontrent et se confondent.
La plaquette promotionnelle annonce une « installation lumineuse immersive, polyphonie sensorielle », qui se propose d’investir la chapelle néo-gothique dite « du CROUS » avec un dispositif suspendu de quatre-vingt-une ampoules à incandescence.
En entrant, c’est d’abord le décalage entre la beauté de la chapelle patrimoniale habituellement fermée au public et le grand carré d’ampoules nues au centre de la nef qui frappe. Mes repères de disciplines artistiques commencent à se brouiller : je pensais voir une installation figée, je m’aperçois qu’il va plutôt s’agir d’une performance.
Dans l’obscurité, le spectacle commence : chaque ampoule, activée individuellement, produit lumière et son. Un son qui mélange le grésillement électrique et l’acoustique du verre qui vibre au contact du filament. Chaque ampoule a sa propre voix, sonore et lumineuse, une voix ténue au seuil de l’audible et de l’inaudible, du visible et de l’invisible. On a l’impression de jouer une partie de cache-cache : il faut se concentrer pour entendre, se concentrer pour voir les premières lueurs sonores se manifester.
Ensemble, les ampoules jouent pendant douze minutes un ballet contemporain qui alterne entre chorégraphies collectives et individuelles, qui se répondent ou qui s’opposent. L’intensité du son et de la lumière varie aussi, l’œuvre se fait tour à tour bienfaisante et troublante, elle nous enveloppe puis nous dénude, nous cache puis nous expose. Le flux qui court entre ces ampoules, immobiles individuellement, donne l’impression qu’une main invisible les caresse pour leur donner âme et mouvement.
Les distinctions mêmes entre humain et machine en viennent à se brouiller. D’autant plus quand on découvre le chef d’orchestre de cet opéra : un logiciel, programmé par un éclairagiste et trois chercheurs en informatique, qui compose en partie de manière « générative ».
En sortant de l’exposition, je me demande comment parler de l’œuvre : est-ce de la science, de l’art, une performance, une installation, une œuvre conceptuelle, ou sensorielle ? Le meilleur moyen en fin de compte est sûrement de ne pas chercher à décrire, à définir, à catégoriser, pour vivre pleinement l’expérience du Chant des filaments.
Article écrit par AW