50 ans après les émeutes du Stonewall Inn., que reste-t-il du New York transgressif et queer ? De ses journées de cruising sur les docks, des nuits sans fin dans les ballrooms ? Des jeunes marginalisés, sans toit et sans le sous, mais croquant la grosse pomme à pleine dents ? Des drags queens et club kids défoncés, chancelant en rentrant chez eux au petit matin ?
Seulement le souvenir de ceux qui étaient la pour le voir.
Et puis quelques images aussi. Des rares flashs qui apparaissent et figent dans le temps des instants singuliers, des créatures seulement de passage.
Peter Hujar est l’un de ceux qui, caméra au point, chassent deux décennies durant la folie douce de la scène underground New Yorkaise, mais l’histoire ingrate se souvient plus souvent de Mapplethorpe, plus jeune et mieux entouré.
Avec une exposition au musée du Jeu de Paume, voici l’occasion de rendre hommage à Peter Hujar, en découvrant à travers son objectif le tableau d’une époque révolue.
Les couloirs immaculés du musée sont habillés des photographies de paysages, des natures mortes et surtout des portraits. Toutes sont noires et blanches. Toutes sont douces et violentes. Toutes sont émouvantes et provocantes. Toutes érotiques et camp.
Les paysages, ce sont ceux d’un temps perdu, d’une réalité qui aujourd’hui n’est plus.
Ce sont les terrains vagues dans l’hyper-centre de New York sur lesquelles des immeubles ont poussés depuis. Les quais de l’Hudson River, peuplés par des faggots et des queers, désertés après la crise du sida et les assassinats.
Les natures mortes, ce sont les tableaux chaotiques de l’essor de la vie underground New Yorkaise. Du mobilier abimés par des heures de débauche et des installations hasardeuses qui se figent au gré des excès.
Enfin, les portraits sont de ceux qu’on ne voulait pas voir. Des éphèbes dans leur plus simple appareil, n’ayant que pour artifice leur beauté tragique. Des performers usés, marqués profondément par la vie, aussi profond que les rides qui parcourt leurs visages fardés. Des malades aussi, qui dans un dernier souffle s’efforce de mourir avec flamboyance, comme ils ont vécus.
Retenons Hujar cette fois-ci. Retenons la désolation des territoires. Retenons la singularité des décors. Retenons l’éclat des personnalités. Quittons l’exposition en retenant surtout la pièce maitresse de cette retrospective, un portrait de Candy Darling, qui incarne la lascivité, la fragilité et l’intensité de ces années que Peter Hujar a capturé.