Connaissez-vous un peu la Polynésie française ?
Il y a 3 000 ans, des peuples austronésiens migrent progressivement vers la Micronésie, la Mélanésie et la Polynésie. Tahiti aurait été peuplée en l’an 300. Elle s’inscrit au milieu du triangle polynésien, région culturelle allant de Hawaï à l’île de Pâque à la Nouvelle Zélande.
Les premiers européens débarquent à partir de 1767. En 1797, les missionnaires britanniques entament leurs campagnes d’évangélisation du Pacifique.
Le choc des cultures est assez violent. Les polynésiens sont forcés de renoncer à tout ce qui caractérisait leur mode de vie : leur langue, la navigation, les danses et les chants, les cérémonies et rituels sacrés, les parures corporelles végétales … Les maladies et l’alcoolisme aidant, la démographie locale se réduit drastiquement, on parle d’un peuple qui se laisse mourir.
Il faudra attendre les années 50 pour que les tahitiens aient un droit de vote et un gouvernement local, et 1977 pour que la langue tahitienne soit autorisée et enseignée à l’école.
Dans une culture de tradition orale, interdire une langue est un acte particulièrement lourd de sens et de conséquences. La transmission de savoirs ancestraux via les chants ou les légendes a été coupé pendant plusieurs générations. De fait, il y a eu de grandes pertes de connaissances. Les chants et les danses pratiqués aujourd’hui viennent de récits, de souvenirs, et ont donc subit des déformations.
Aujourd’hui, trois types de population vivent majoritairement à Tahiti : les tahitiens, les chinois et les français. Le français et le tahitien sont les langues officielles. Elles se sont un peu mélangées dans la vie de tous les jours pour devenir une sorte de créole.
Dans cette cohabitation marquée par un passé colonial, plusieurs types de situations sont récurrents : les français blancs et les chinois nés et élevés à Tahiti vivent souvent un manque de légitimité et ont parfois fait l’expérience du racisme ; les tahitiens intimidés voire effrayés par les blancs ; ceux qui rêvent de la vie américaine au point parfois de nier leur culture ; ceux qui sont moqués car ils ne parlent pas tahitien ou le parle mal et avec un accent français …
En sommes des difficultés de communication, de compréhension et d’acceptation qui sont les séquelles laissées par la colonisation.
Un sentiment d’infériorité face aux blancs demeure assez répandu chez les tahitiens d’origine. Une phrase l’illustre bien : « les tahitiens n’ont peur de rien, mais ont honte de tout ».
Les événements culturels comme le Heiva traditionnel, la course de va’a Te Aito ou le Festival International du Film Documentaire Océanien, permettent de valoriser les récits de vie du Pacifique, au-delà de la couleur de peau ou du niveau d’éducation scolaire. Le FIFO me semble être un événement populaire moderne réussi. L’outil du film et du court métrage est particulièrement intéressant car il donne un moyen d’expression plus accessible à tous les habitants du Pacifique Sud, l’écriture n’étant pas devenue un véritable loisir ou moyen d’expression populaire dans la société tahitienne. Elle reste le domaine d’une certaine élite. Le cinéma plaît davantage et est de fait plus investi. Il a cette subtilité de rendre compte de l’ineffable, d’histoire difficiles à retranscrire à l’écrit … Ce festival qui existe depuis bientôt 16 ans rassemble les îles Cook, de Nouvelle-Calédonie, de Nouvelle-Zélande, des Tonga … il est l’occasion de transmettre d’émouvants messages, de faire valoir des points de vue et expériences, des conditions de vie, et de mettre en scène tout un univers de ces îles tantôt porteuses de spécificités propres, tantôt liées par des destins communs.
Albert Memmi parlait de la condition du colonisé et de la perception de lui-même qu’il finissait par avoir. Cette perception a pesé sur l’inconscient polynésien, sur sa capacité à être fier de lui-même et de ses savoirs. Aujourd’hui, la vie quotidienne des habitants du fenua (la terre en tahitien) fait la vivacité des activités traditionnelles. Leur reconnaissance via des événements culturels et sportifs largement appréciés par tous nous rappelle la force de vie et de guérison que la culture permet. Le FIFO, en valorisant des cultures de tradition orale, donne la parole aux habitants du Pacifique sud et est devenu une belle aventure océanienne.
Ariane Blanc Lebeaupin