Crédit photo : Simon Gosselin
En pénétrant dans la grande salle Vitez, les spectateurs ont de quoi s’étonner face au dispositif scénique installé sur la scène. La partie supérieure est occupée par un écran, et le reste par ce qui ressemble à un grand miroir dans lequel la salle se reflète. Puis les lumières s’éteignent dans la salle et s’allument sur scène : il ne s’agit pas d’un miroir mais d’une paroi vitrée dissimulant un univers de bureaux où rien ne manque, ni photocopieuse ni salle de réunion.
Simultanément défile sur l’écran la charte de création du Collectif MxM, qui définit la performance filmique, forme théâtrale, performative et cinématographique qui doit être tournée, montée et réalisée en temps réel sous les yeux du public. Tout ceci semble bien abstrait avant que ne commence la performance et que la magie n’opère.
Dans la cage de verre s’agitent des consultants en restructuration d’entreprises. Ils sont charismatiques, portent tailleurs et chemises bien repassés et ont pour principale caractéristique de se tirer dans les pattes à longueur de temps. Leur travail consiste à éliminer les éléments les moins productifs, comprenez : les salariés les moins compétitifs – dans d’autres entreprises comme dans leur propre boîte.
Autour de ce panier de crabes gravitent deux cadreurs qui filment l’histoire en train de se jouer mais sans y prendre part. Ils incarnent tout à la fois une forme de surveillance rapprochée et la technique devenue vivante, le fond et la forme. Ce qu’ils filment est retransmis en temps réel sur l’écran, privilégiant les gros plans et nous donnant accès à des recoins cachés du plateau – l’intérieur de l’ascenseur ou encore les WC.
Dans cet enfer ordinaire, nous suivons les pensées de Jean Personne, l’un des consultants, grâce à une voix off. Perdant pied dans sa vie, dans son couple et dans son esprit, Jean règle le problème en évacuant toute moralité et tout sentiment et en se conformant à ce qu’on attend de lui – un pion, finalement acteur de sa propre déchéance. En tant que public, on assiste impuissant à cette descente aux enfers cauchemardesque et si prévisible, mais rien ne peut stopper l’engrenage une fois qu’il est lancé. Oscillant entre réalisme et caricature, Nobody montre un monde à venir totalitaire et dur, un spectacle violent dont on peine à se distancier. Ce n’est que grâce à la présence du cinéma que l’on parvient à prendre du recul.
Cette performance concilie deux œuvres qui pourraient être indépendantes et qui fonctionnent pourtant en symbiose, chaque choix scénique étant minutieusement pensé pour les deux. Ce monde du travail déshumanisé est traité avec une précision mathématique, sous une lumière froide, blanche, clinique. Ici l’individu disparaît, dévoré par l’entreprise, la relation à l’autre passe par les objets technologiques, l’humanité toute entière est condamnée à être psychotique et névrosée.
Sans jamais verser dans le pathétique, Cyril Teste présente une image en négatif des valeurs perdues et intègre le spectateur à sa démonstration, puisque ce dernier reçoit le spectacle à travers un écran. Entre prise de conscience et traits d’humour, cette performance admirable est à saluer.
Nobody se donne du 11 au 20 janvier 2017 au TnBA – Bordeaux
Toute la tournée et les autres productions sur le site du Collectif MxM
Article écrit par Chloé Pape