Des analogies réussies pour le Merignac Photographic Festival
A droite, la Revoluçao de feu Joshua Benoliel, photographe portugais. A gauche, la célèbre Nuit Debout, immortalisée par Meyer, photographe contemporain français. Au milieu, un passage, point culminant de la rencontre de ces deux oeuvres aux ressemblances établies mais aux différences importantes.
Focus sur l’exposition de Benoliel. Des photographies, bien évidemment, mais vêtues d’un noir et blanc percutant, rappel d’une époque passée, mais de problématiques pourtant toujours très actuelles. Avec ses cadrages pour la plupart larges, Benoliel capture la foule. Oui, mais pas n’importe laquelle. Des dizaines, voire des centaines de personnes, réunies pour une cause commune. Ce sont de grandes manifestations, les grèves des cheminots ou des électriciens que Benoliel nous montre. Avec un style à la fois très documentaire mais empreint de poésie et de tendresse envers les sujets qu’il photographie, le photoreporter portugais transmet l’idée d’une société en pleine évolution, sublimée par un désordre ordonné et une volonté commune de changer les choses. Il est notamment l’une des figures majeures du photojournalisme qui naît dans les années 1910, et réussit, à travers les photographies de cette exposition posthume, à nous lier au monde de son époque, nous questionnant sans cesse sur notre société actuelle. Grâce à cette exposition qui puise dans les archives municipales de Lisbonne pour en soutirer quelques 4000 plaques photographiques, un va et vient constant entre les années 1910 et notre XXI° siècle s’installe alors dans l’imaginaire du spectateur.
Et justement, changement de point de vue, d’époque et d’esthétique. Le spectateur se retourne, et tombe sur l’exposition Nuit Debout de Meyer. La première claque provient du simple fait que l’on passe du noir et blanc contrasté de Benoliel à de la couleur, contrastée elle aussi, mais beaucoup plus douce dans son traitement. Un grain particulier qui détermine très nettement la patte de ce photographe contemporain français. Meyer fait partie d’un collectif de photographes, Tendance Floue, sorte de laboratoire qui élargit le champ de la photographie hors de ses limites en diversifiant les modes de représentation de la photographie contemporaine. Avec cette exposition Nuit Debout, Meyer nous plonge dans un véritable récit, celui d’enjeux politiques et économiques bien trop décalés et qui entrent en opposition avec une tranche de la population. Un décalage, aussi bien idéologique que spatial, puisqu’il intègre un nouveau sujet à ses récits photographiques, la Place de la République, dont il réalise un portrait puissant, humain et contemporain. Nos yeux se posent alors sur une première photo, puis sont comme happés par la seconde, puis la troisième, et ainsi de suite. Nuit Debout se décrit tel un récit, et se vit intérieurement comme le combat d’une société en pleine mutation.
L’idée de communauté, qui est d’ailleurs le maître mot du Merignac Photographic Festival entier, s’invite au sein de ces deux expositions. Deux photographes, deux oeuvres, deux mondes qui ne pourraient n’avoir rien de similaire en surface, mais dont la vision intimiste et la capacité à s’immiscer au coeur des mutations sociales de leur époque transparaît. Bien que deux esthétiques très différentes et des sujets aux caractéristiques variées, cette exposition reliant les travaux de Benoliel à ceux de Meyer porte un coup de projecteur sur des thématiques, ou plutôt problématiques, dont la communauté s’empare pour combattre ensemble. Un lien, pourrait-on dire, « intergénérationnel » entre ces deux univers, source de résonnances, de luttes et d’enjeux au final toujours très actuels.
Emma Derancy
Crédit photo : Isabelle Muñoz