Un matin, Maryam « enfante » son français.
Une langue efface une autre: pour apprendre le français, elle renonce à apprendre le persan, devenu sa langue perdue dans un pays étranger. « Elle ferma les yeux et elle engloutit sa langue maternelle qui glissa au fond de son ventre, bien à l’abri, au fond d’elle, comme dans le coin le plus reculé d’une grotte. »
Ainsi il va falloir des mois avant que Maryam ne parle. Plus un mot ne sort de sa bouche. La nouvelle langue est comme en gestation, se fabrique dans son intérieur et pendant ce processus elle ne dit pas un mot plusieurs mois durant.
Dans ce roman, c’est Maryam qui me parle.
L’exil pour Maryam se décline par la perte de sa langue, le persan, et par la perte de sa culture qui seront synonymes de souffrances, jamais exacerbées.
Maryam, petite fille de parents communistes très engagés dans l’Iran post-révolutionnaire, va quitter son pays natal avec sa mère pour rejoindre son père exilé à Paris. Marx renvoie au militantisme de ses parents contre le régime de Khomeini et la Poupée est la métaphore de l’enfance de Maryam, de ses jouets qu’elle a dû distribuer à son départ contre son gré.
Adolescente, elle est exigeante avec sa nouvelle langue et elle a honte des fautes d’expression de ses parents. L’auteure, dans un chapitre intitulé « La lutte des langues », personnifie la langue persane et la langue française, les faisant dialoguer avec elle.
Tout au long du roman, Maryam a des apparitions fantomatiques de sa grand-mère, évanescences de ses racines, ses origines.
Adulte, elle retrouve le persan pour ses études de littérature comparée. Elle choisit de travailler sur les œuvres d’Omar Khayyâm et Sadegh Hedayat. Pour cela, elle étudiera le persan écrit. Ses lieux de vie sont tantôt l’Iran, tantôt la France mais aussi la Chine et la Turquie.
En trois parties, trois naissances successives, Maryam raconte sa petite enfance en Iran à Téhéran, son exil en France à six ans avec ses parents, et enfin sa réconciliation avec son identité multiple.
Entre fable et journal, on passe de l’enfance à l’âge adulte pour revenir à l’enfance.
Le déracinement se transforme en une véritable richesse : celle d’avoir développé des identités culturelles mais aussi d’habiter deux langues et de développer cette facilité au voyage.
Marx et la Poupée de Maryam Madjidi est un roman autobiographique publié le 12 janvier 2017 au Nouvel Atilla. Il a reçu le prix Goncourt du premier roman la même année.
Sophie Bouali
Crédits photo : Arthur Tress, Boy in TV set, Boston 1972